Club - Internet 1997 Interview par Anthony Augendre "Unsound
Methods" est le tout nouvel album de Recoil, un ensemble subtil, complexe,
signé par l'ex-sculpteur de sons de Depeche Mode. En tranchant définitivement
les liens avec ses vieux compagnons techno-pop, Alan Wilder a opéré
un changement profond sur ses compositions. Un halo d'une rare noirceur
rayonne à présent sur ses claviers, générant une musique sexuelle, paranoïaque,
injectée brutalement dans les tympans de l'auditeur naïf telle une seringue
à images. Des voix itinérantes et des personnages hantés sont venus
illustrer des thèmes musicaux tout droit sortis de courts-métrages imaginaires.
Recoil s'affirme tortueusement avec "Unsound Methods" et développe une
formule à géométrie variable. Il n'est ni un groupe, ni une bande originale,
ni une expérimentation mais bien tout à la fois. Rencontre avec un homme
pourtant serein, souriant, en quête d'une perfection musicale non loin
d'être atteinte.
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Recoil
est-il un groupe, un side-project où peut-être un jardin secret mort-née? |
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Recoil
n'est pas un groupe, sans aucun doute. J'ai quitté Depeche Mode
parce que je ne voulais plus jamais appartenir à un groupe ou
à une association de façon permanente. Alors je vois bien
plus Recoil comme étant un projet qui évolue constamment
et qui me donne l'opportunité d'être mon propre patron.
Mais aussi de travailler avec d'autres personnes qui viennent et qui
repartent à un moment approprié pour contribuer au projet.
Oui c'est vraiment un projet
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Recoil
vous offre-t-il une totale liberté d'expression? |
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Oui
cela me donne beaucoup de liberté. Je ne dois répondre
à personne d'autre que moi et je n'ai pas à gérer
démocratiquement ce projet. C'est vraiment le mien. Sans être
une sorte de dictateur, je contrôle en quelque sorte le tout.
Quand je travaille avec une autre personne, nous discutons beaucoup
avant des différents paramètres et je pose clairement
ce que j'attends d'elle et des libertés dont elle dispose et
ensuite ça fonctionne très bien et je peux travailler
avec d'autres gens sur cette base.
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Recoil n'est pas vraiment un projet narcissique. Pourquoi vous cachez-vous derrière un autre nom que le vôtre? | |||
Je
n'essaye pas vraiment de me cacher. Je pense qu'il est plus adéquat
de donner une sorte de titre à un projet plutôt que de
l'appeler "Alan Wilder solo project" ce qui sonne faux pour
moi.
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Considérez-vous "Unsound Methods" comme étant une oeuvre plus personnel que ne l'était "Bloodline" votre album précédent? | |||
Je
le considère comme un travail plus complet et plus au point et
peut-être qu'avec du recul ce disque évoque quelque chose
sur moi mais quand je compose je ne cherche pas à imposer une
direction. Je laisse la musique me dicter quel chemin je dois emprunter
en suivant mon instinct. J'ai voulu également pousser un peu
plus loin ma recherche et ne pas me contenter d'une série de
morceaux instrumentaux. Ceci m'a suggéré d'inviter d'autres
chanteurs et m'assurer que chaque morceau était vraiment complet
et j'ai pensé que mon album précédent n'était
pas tout à fait au point.
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Comment
expliquez-vous le succès récent des musiques instrumentales personnifié
par la techno, l'ambient, la jungle, un succès auquel vous avez sans doute
participé? |
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Il
semble que beaucoup de gens aient l'esprit plus ouvert à différents
styles de musique. Il y a aujourd'hui plus de films, plus de chaînes
de télévision, plus de magazines dans les boutiques et
plus de choix de musique à écouter. Tout le monde n'a
pas forcément envie d'entendre la pop diffusée sur les
radios "mainstream". Bien sûr ma musique n'est peut-être
pas faite pour tout le monde et colle sans doute à cet esprit
de musique instrumentale même si elle n'est pas totalement instrumentale,
il s'agit plus d'une éventuelle bande originale de film.
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Vous
sentez-vous plus proche d'un compositeur de musique de film que d'un groupe
de pop rock? Etes-vous une sorte de compositeur pour des films imaginaires? |
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Oui
je crois que c'est exact de dire ça. Quand je travaille sur une
musique je tente vraiment de penser en images. Et la façon dont
j'assemble les musiques est vraiment similaire à la technique
d'édition de films. J'aime les musiques qui se développent
avec une forte atmosphère, qui ont le temps de s'épanouir
et racontent des histoires. Alors ce que je fais comporte pas mal de
similitudes avec l'univers cinématographique. Cet aspect des
choses s'est intensifié ces derniers temps, au moment où
mes compositions se construisaient, elles me suggéraient un type
de narration pratiquement comme une sorte de dialogue avec les paroles.
J'ai enrichi chaque morceau de cette façon.
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Quelle
place tiennent les paroles dans vos compositions? |
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Je
crois que tout est important bien que je ne me sentent pas personnellement
comme étant un parolier c'est d'ailleurs pour cette raison que
j'ai amené d'autres personnes sur le projet. Je peux alors user
de leur talent et apprécier ce qu'ils font. C'est une part importante
pour moi, Un besoin de compléter le projet. Il n'aurait pas tenu
debout sans le chant. Mais c'est aussi important pour moi que ces voix
soient adaptées musicalement. Je préfère les écouter
avec une approche musicale en laissant en second la signification des
mots. Bien sûr ces mots doivent raconter une histoire et être
intéressants mais dans un premiertemps ils doivent être
en harmonie avec l'ambiance et la musique.
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Vous utilisez un sample d'Apocalypse Now, est-ce une simple citation où bien une sombre emprise marquant tout l'album? | |||
Je
pense que c'était juste l'atmosphère d'Apocalypse Now
qui inspira ce morceau en particulier. Tout démarre avec ce sample
de Martin Sheen que je ne voulais pas conserver. Il devait être
remplacé par le chant de Douglas (McCarthy de Nitzer Ebb ndlr).
Pendant longtemps je n'arrivais pas à retirer ce sample parce
qu'il était tellement bon. J'ai donc construis l'atmosphère
autour de ça. J'ai trouvé une autre personne capable de
distiller le même esprit que dans le film tout en écrivant
une autre histoire. Finalement Douglas a remplacé Martin Sheen
en ajoutant son propre texte.
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C'est une ambiance assez psychédélique non? | |||
Oui,
il y a un parfum de paranoïa qui parcoure Apocalypse Now, une personne
pourchassée, ne pas vraiment savoir ce qui va arriver, une confusion
totale. J'ai essayé en quelque sorte de reproduire ce sentiment.
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L'ensemble des participations vocales est très éclectique. Comment avez-vous choisi une telle équipe? | |||
J'ai
pensé qu'il serait intéressant de rendre chaque chanteur
très différent des uns des autres. A côté
de ça j'ai laissé la musique me dicter quel genre de vocaux
chaque morceau devait comporter. je me suis dis "tiens telle musique
serait appropriée pour une voix de femme, celle-ci pour une voix
d'homme". Je suis ensuite partie à la recherche de chanteurs,
de nouvelles personnes que je ne connaissais pas avant : Siobhan Lynch,
Maggie Estep. Cela a pris du temps pour trouver ces gens. J'ai dû
chercher dans des piles de cassettes démos, j'ai écouté
des suggestions d'amis et finalement j'ai demandé à ces
personnes si elles souhaitaient s'investir dans le projet.
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Vous travaillez avec Douglas McCarthy un membre de Nitzer Ebb, avec les Finlandais Panasonic. vous intéressez-vous à la musique expérimentale? | |||
Quelqu'un
qui se remet en question, qui expérimente est probablement intéressant
parce il prend des risques. Je m'intéresse à tous les
genres de musiques et j'aime travailler avec des gens issus de domaines
différents. Panasonic serait comme une sorte de domaine extrême
si vous voulez. Bien sûr avec une approche électronique
analogique très extrême. Mais je n'ai pas vraiment travaillé
avec eux je leur ai simplement demandé de remixer un morceau
qui leur irait bien. J'aime travailler avec Douglas, c'est tellement
agréable avec lui, il a une très bonne manière
de chanter et nous sommes de bons amis. En fait je n'ai pas vraiment
de règles, je reste ouvert d'esprit et j'écoute beaucoup
de genres de musique et tout ça se reflète dans ce que
je fais.
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Avez-vous
l'intention de composer pour le cinéma? |
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Ce
serait intéressant si une bonne chose se présentait si
c'est pour une personne que j'estime. aussi longtemps que la musique
reste indépendante du film même si le film devait tomber
que je puisse rester avec ma musique. il est vrai que je ne veux pas
être influencé par les images. Il arrive que des films
échouent et ne voient pas le jour, quelque fois les compagnies
changent d'avis. C'est pour cela que je souhaiterais rester avec une
pièce musicale qui ait sa propre valeur.
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Recoil
est-il uniquement un projet de studio sans objectif de tournée? |
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Je
ne veux pas faire de longues tournées mondiales comme nous le
faisions avec Depeche Mode. Ce qui ne veut pas dire que Recoil ne se
produira jamais en live. Mais je ne suis pas sûr de la façon
de le faire. Et je suis plus attiré par le processus de la création
de morceau et l'enregistrement plutôt que par l'aspect de performer.
Je crois que cela serait pas mal de jouer différemment plutôt
que de réunir un groupe, partir sur la route à la mode
Rock'n Roll.
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Quel regard portez-vous sur la technologie? Est-ce une chose si importante pour vous? | |||
Si
je n'avais pas eu de technologie à disposition ma musique aurait
évidemment sonné différemment parce que j'utilise
énormément de samplers, ordinateurs et tout le reste.
Ce n'est pas plus ni moins important pour moi aujourd'hui que cela a
toujours été. J'utilise tout ce qui m'entoure comme un
outil. J'aime utiliser le sampler parce que c'est un outil fascinant
et très flexible. J'embrasse la technologie dans ce sens. Je
ne veux plus jamais me référer au fait d'utiliser un certain
type d'instrument. Les gens se moquent de l'équipement. Le son
est important mais personnellement je ne suis pas si technicien que
cela.
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Qu'avez-vous retenu de votre passé musical? | |||
Je
pense que l'on apprend toujours, toutes les expériences sont
utiles. Dans tous les sens. Au niveau des compétences musical
mais aussi de l'expérience de la vie. On grandit en tout. J'ai
eu une formidable expérience de production en travaillant avec
des gens différents pendant les années Depeche Mode, avec
Daniel Miller au début (le patron de Mute ndlr), puis Flood.
Tout a été utile pour moi, même quand j'ai quitté
l'école j'ai travaillé pendant des années dans
un studio. Mes études classiques quand j'étais plus jeune.
Et puis les choses que l'on observe dans la vie! Je crois que certains
sujets des morceaux tirent leur inspiration d'histoires qui arrivent
à d'autres gens. Donc beaucoup de choses t'influencent dans la
vie.
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Attendez-vous toujours la sortie du nouvel album de Kraftwerk? | |||
sourire)Je
pense que ce sera très passionnant de voir ce que Kraftwerk a
comme possibilité pour rester innovateur. S'ils font un disque
électronique à moins qu'ils le fassent d'une façon
incroyable il risque de sonner daté. Alors je me demande s'ils
vont faire quelque chose de similaire à ce qu'ils faisaient avant
et s'écarter totalement de leur style. Je ne peux pas les imaginer
s'écarter complètement de l'électronique. Peut-être
von- -ils se camper dans leurs paramètres en essayant de s'intégrer
aux 90's. Ca va être très difficile pour eux.
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